LE CULTE TANTRIQUE DES 64 DÉESSES YOGINIS ET SES ÉNIGMATIQUES TEMPLES
LE CULTE TANTRIQUE DES 64 DÉESSES YOGINIS ET SES ÉNIGMATIQUES TEMPLES
Avec une tradition spirituelle extraordinaire qui date de milliers d’années, l’Inde est encore aujourd’hui considérée comme l’un des principaux centres spirituels de la planète. La richesse culturelle de l’Inde prend ses racines dans un passé admirable. En Inde, on dirait que dieux et déesses sont descendus des cieux laissant pour toujours l’empreinte de leur présence divine dans de nombreux endroits vénérés maintenant comme des lieux saints. Du Nord et des montagnes himalayennes jusqu’au Sud et la région Tamil Nadu, l’Inde est parsemée de milliers d’oratoires, de temples et de lieux dévotionnels qui datent pour certains de milliers d’années.
La construction des temples en Inde a commencé il y a plus de 2000 ans. Ces temples ont marqué une étape dans l’hindouïsme : de la religion védique basée principalement sur des rituels compliqués, on est passé à la pratique de Bhakti, ou l’amour dévotionnel envers une divinité choisie et adorée dès lors sous une forme anthropomorphe. Ainsi ont été construits de nombreux temples dédiés à différentes manifestations du divin. Ils continuent de nos jours à constituer des témoignages vivants de l’authentique spiritualité hindoue.
Les temples comme ceux dédiés à Shiva ou aux Grandes Puissances Cosmiques sont très vénérés en Inde encore aujourd’hui, et ils sont visités par des millions de pélerins chaque année.
Les temples tantriques consacrés au culte des Déesses Yoginis
Parmi les nombreux lieux de dévotion de l’Inde, il existe quelques temples hindous tantriques du IXe siècle consacrés à l’adoration des 64 Déesses Yoginis qui, malgré leur importance pour la culture et la tradition hindoue, sont ignorées ou marginalisées par la majorité des spécialistes de la culture indienne. Ces temples tantriques étaient voués au culte Chaunsath Yogini (les 64 Yoginis) qui était pratiqué dans le cadre des écoles tantriques Kaula. Nous trouvons des références historiques qui attestent que le culte et l’adoration des 64 Déesses Yoginis était largement répandu entre les années 800 et 1300 ap. J.C. On dit que les Yoginis (personne de sexe féminin pratiquant le yoga) appartenant au culte Chaunsath Yogini détenaient de grands pouvoirs paranormaux (des siddhis). Des vestiges de ce genre de temples sont disséminés dans le nord de l’Inde et, à de rares exceptions près, ils sont situés dans des endroits difficiles d’accès. On n’en trouve plus que quatre de nos jours, deux d’entre eux dans la région d’Orissa, à Hirapur et Ranipur, les deux autres à Khajuraho et Jabalpur (dans la région de Madhya Pradesh).
Bien que les temples dédiés aux Déesses Yoginis aient été mentionnés au XIXe siècle par Cunningham (qui était le directeur du bureau de supervision archéologique en Inde à cette époque), seulement quelques-uns d’entre eux ont été explorés depuis lors.
Peut-être que l’un des motifs pour lesquelles les Déesses Yoginis et leurs temples ont été négligés est le sentiment aigu de peur qu’elles peuvent inspirer aux non-initiés. Le plus souvent, les personnes habitant à proximité ne parlent de ces temples que du bout des lèvres, ou préfèrent même ne pas les mentionner du tout. D’autant plus qu’il existe une superstition qui dit que les Déesses Yoginis peuvent punir durement ceux qui s’approchent de leurs temples.
L’école Kaula et les secrets des 64 Déesses Yoginis
Le courant tantrique Kaula s’est développé en Inde entre les IXe et XIIIe siècle. Chaunsath Yogini constituait l’un des cultes importants de cette école et plusieurs temples circulaires lui était dédiés. On dit que dans ces temples circulaires se déroulaient des rituels tantriques très puissants suite auxquels les aspirants à la réalisation spirituelle éveillaient de grands pouvoirs paranormaux (ou siddhis). L’élément Shakti (la contrepartie féminine de Dieu ou de Shiva, son énergie manifestatrice) est très important dans le cadre de l’école tantrique Kaula. Retenons le fait que les femmes yoginis appartenant à cette école tantrique étaient adorées comme étant des déesses féminines initiatrices.
Chaunsath signifie 64 et symbolise les 64 Tantras qui, selon certains textes, ont été révélés par Shiva. Les Tantras sont écrits dans une langue abstraite nommé Sandhya Bhasa qui ne peut être comprise que par les initiés. Plusieurs Tantras, parmi lesquels nous pouvons citer Kularnava et Goraksha Samhita (une forme incomplète de Mattotara Tantra éditée par l’université de Varanasi) contient de nombreuses références aux Déesses Yoginis. Dans Agni Purana, Skandi Purana et Kalika Purana (Purana signifie « qui date du fond des âges », cela indique qu’il s’agit d’un texte religieux hindou), nous trouvons donc des références aux Déesses Yoginis et à la relation de celles-ci avec la contrepartie féminine de Shiva.
Au 9e chapitre de l’ouvrage Kaulajnana Nirnaya (attribué au sage Matsyendranath), il est mentionné que les 64 Déesses Yoginis sont « bien connues dans le Kama Rupa ». L’expression sanskrite Kama Rupa (forme du désir) fait référence à la réalité physique comme étant le monde dans lequel les formes sont nées du désir. Dans le langage symbolique de l’école Kaula, Sandhya Bhasa, l’expression Kama Rupa symbolise l’organe sexuel féminin. Cette expression Kama Rupa peut servir aussi à qualifier la région indienne Assam, connue par les spécialistes comme un centre très important du tantrisme indien.
Mattotara Tantra, l’un des 64 Tantras, clôt chaque chapitre par l’expression Yoginiguhya qui signifie « le secret des Yoginis ». Brahmananda Purana qui contient le fameux poème « Les mille noms de Lalita » se termine par la précision que quiconque fait connaître ce poème à des non-initiés sera puni par les Déesses Yoginis. De même, Jnanarnava Tantra nous dit que celui qui transmettra la connaissance sacrée et secrète des Tantras à une personne qui n’est pas initiée deviendra de la « nourriture pour les Déesses Yoginis ».
Les 64 Déesses Yoginis sont en permanence en état de communion frénétique et extatique avec Shiva Bhairava.
Le culte tantrique Chaunsath Yogini était dédié à Shiva Bhairava et à ses contreparties féminines, Kali et Durga. Dans la tradition spirituelle hindoue, Kali est considérée comme la déesse de la mort (la mort apparente, celle de l’ego limité), du temps et des mystères de la sexualité. Durga est celle qui vainc les démons, elle est associée à Shiva dans son aspect de Bhairava, c’est-à-dire « le terrible », transcendant et ineffable, qui se manifeste pendant la nuit mystérieuse de la révélation divine, Shivaratri. Son nom se réfère en fait à l’effet qu’il déclenche dans les êtres de ceux qui s’opposent à l’évolution spirituelle. Il est la divinité qui annihile tout ce qui est limité, négatif, mauvais ou égoïste dans la manifestation.
Les 64 Déesses Yoginis étaient adorées pour l’obtention de grands pouvoirs paranormaux (les siddhis). Elles étaient considérées alors comme étant au service des Grandes Puissances Cosmiques Kali ou Durga, les contreparties féminines de Shiva Bhairava. Mais du fait que, dans ce culte tantrique du IXe siècle, on invoquait des aspects terribles de Dieu, des superstitions et des préjugés continuent aujourd’hui d’entourer ces temples.
Les temples dédiés au culte des 64 Déesses Yoginis qui existent encore
Selon le bureau de supervision archéologique de l’Inde, le plus vieux temple de l’ensemble de Khajuraho est dédié au culte des 64 Déesses Yoginis. Contrairement aux autres temples qui ont leurs coins orientés vers les directions cardinales, celui-ci est orienté du nord-est vers le sud-ouest. La divinité principale du temple est la Grande Puissance Cosmique Kali. De nos jours, le temple se trouve en ruine et on suppose qu’il date d’avant le XIe siècle. L’édifice se situe sur une impressionnante plate-forme de pierre de plus de quatre mètres de haut. Ici, les 64 déesses féminines étaient adorées comme étant les aides de la Grande Déesse Kali. Ce temple est connu sous le nom de Mandapur. L’endroit où il est situé se nomme Bera ou Bhedaghat, mais portait jadis le nom de Bhairavi d’après le nom de la terrible déesse Durga.
Le temple Chaunsath Yogini de Bhedaghat Jabalpur abrite 64 statues de Déesses Yoginis, plus quinze autres de déesses féminines. Shiva et Ganesha (le fils de Shiva à tête d’éléphant, considéré comme le maître des mystères de la sexualité) sont les divinités principales de ce temple. Chaque statuette féminine représente une femme voluptueuse, splendidement parée des sept types de bijoux tantriques, bracelets de chevilles, de poignets, de bras, colliers, boucles d’oreille et diadèmes. La plupart ont des seins généreux et quatre bras.
Dans le temple Chaunsath Yogini de Ranipur, les 64 Déesses Yoginis sont représentées dansant sensuellement dans le style Odissi avec Shiva Bhairava (la divinité principale du sanctuaire) la danse de la vie et de la mort. Au centre du temple se trouve la figure à trois visages du dieu Shiva qui embrasse sa bien-aimée Parvati. Des rituels d’adoration du Divin se réalisent encore ici, en particulier pendant la nuit de Shivaratri.
L’un des plus célèbres temples Chaunsath Yogini est celui d’Hirapur (« la ville de diamant »), un petit village situé près de Bhubaneswar, dans l’état d’Orissa. À cause des superstitions qui entourent les pratiques tantriques du culte des Déesses Yoginis, le temple d’Hirapur n’a été découvert et rendu public qu’en 1953 par le chercheur et historien Kedarnath Mahapatra. C’est la plus petite construction de ce genre, elle mesure moins de neuf mètres. L’édifice est de forme circulaire et n’a pas de toit. Les 64 statues des Déesses Yoginis délimitent le temple, et au centre se trouve la plate-forme sur laquelle étaient réalisées les rituels tantriques. Ici, la beauté féminine n’était pas seulement sculptée mais elle était vénérée avec ferveur. Les divinités principales sont Shiva Bhairava et la déesse Mahamaya, c’est pourquoi le temple est aussi appelé Mahamaya Mandir (le temple de Mahamaya). Il est reconnu encore aujourd’hui comme un centre important des pratiques tantriques.
De nombreux récits de cette région continuent à parler de la puissance des Yoginis qui se rencontraient dans ce temple, et de ceux qu’elles avaient bénis ou punis…